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A la veille d'une conférence de paix dans la région des Grands Lacs africains, prévue jeudi à Paris, les armes continuent de parler dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), où la diplomatie peine à suivre le rythme du conflit.
PARIS/KINSHASA, 28 octobre (Xinhua) -- A la veille d'une conférence de paix dans la région des Grands Lacs africains, prévue jeudi à Paris, les armes continuent de parler dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), où la diplomatie peine à suivre le rythme du conflit.
Alors que les combats se poursuivent entre les Forces armées de la RDC (FARDC) et les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23), malgré la conclusion récente d'un mécanisme de cessez-le-feu, les initiatives diplomatiques s'essoufflent. Cette impasse s'accompagne d'une crise humanitaire qui s'aggrave, pla?ant la conférence parisienne face à un défi à la fois politique et humanitaire.
Selon une annonce datée du 16 octobre par le Quai d'Orsay, cette Conférence de soutien à la paix et à la prospérité dans la région des Grands Lacs, sous l'égide de la France, vise à mobiliser la communauté internationale autour de trois priorités : répondre à l'urgence humanitaire dans l'est de la RDC, soutenir les efforts de médiation existants et promouvoir une intégration économique régionale jugée indispensable à une paix durable.
Organisée en coordination avec le Togo, médiateur de l'Union africaine pour les Grands Lacs, la rencontre est prévue pour réunir une soixantaine de pays et d'organisations internationales. Le président congolais Félix Tshisekedi et son homologue rwandais Paul Kagame figurent sur la liste des invités, même si leur présence reste à confirmer.
Ce n'est pas la première fois que la France tente de jouer un r?le moteur dans la recherche de la paix dans la région des Grands Lacs. Dès septembre 2022, à New York, le président fran?ais Emmanuel Macron avait réuni Félix Tshisekedi et Paul Kagame en marge de l'Assemblée générale des Nations unies pour tenter de désamorcer la crise du M23.
L'initiative de cette conférence de Paris s'inscrit ainsi dans la continuité de ces efforts diplomatiques, après plusieurs reports liés à la dégradation de la situation sécuritaire à l'est de la RDC.
SUR LE TERRAIN, UN CESSEZ-LE-FEU ILLUSOIRE
Mais à des milliers de kilomètres de la capitale fran?aise, le bruit des armes ne faiblit pas. Dès les premières heures de mardi, sur plusieurs fronts dans les territoires de Masisi et de Walikale, dans la province du Nord-Kivu, des affrontements ont éclaté entre le M23 et les FARDC, ainsi que leurs alliés.
Deux semaines après la conclusion d'un mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu à Doha, les deux parties s'accusent mutuellement d'être responsables des affrontements qui se multiplient sur le terrain.
Sur les réseaux sociaux, Benjamin Mbonimpa, l'un des principaux représentants du M23 à la table de négociations avec le gouvernement congolais, a accusé mardi Kinshasa de "saboter" des pourparlers qui devaient initialement se conclure en ao?t par la signature d'un accord de paix global. Plusieurs reports successifs ont retardé l'échéance, et les discussions se poursuivent tant bien que mal, selon des sources proches du dossier.
Devant la presse, le général Sylvain Ekenge, porte-parole des FARDC, a récemment affirmé que l'armée ne restera plus indifférente face aux provocations. "Ils (les rebelles du M23) disent qu'on les a bombardés. Ce sont eux qui viennent nous provoquer et nous réagissons. On ne va pas les laisser faire".
UNE DIPLOMATIE QUI VACILLE
Sur le front diplomatique, la situation demeure fragile. Deux cadres parallèles, le processus de Washington, soutenu par les Etats-Unis, et le processus de Doha, conduit sous médiation qatarie, incarnent aujourd'hui les principaux canaux de bons offices entre Kinshasa, Kigali et le M23.
Quatre mois après la signature, à Washington, de l'accord de paix du 27 juin 2025 entre la RDC et le Rwanda, sa mise en ?uvre demeure partielle. Un récent rapport du Baromètre des Accords de Paix en Afrique souligne que, sur les 30 taches identifiées, seules 17 ont connu un début d'exécution, soit un taux global de 21,6% (65 points sur 300). En ne considérant que les taches partiellement exécutées, le taux de réalisation atteint 38% (soit 65 points sur 170), ce qui constitue un léger recul par rapport à la période de fin ao?t 2025, où le taux était de 41%.
Sur le plan sécuritaire, l'accord de Washington s'accompagne d'une annexe détaillant un plan opérationnel pour la neutralisation des FDLR, ainsi que des dispositions prévoyant la "levée des mesures défensives" par le Rwanda, dont l'exécution demeure lente et partielle.
Le général Ekenge a indiqué que ces derniers "ont répondu à l'appel de l'armée congolaise" de déposer leurs armes, mais que la reddition des FDLR serait "empêchée" par le M23 et le Rwanda dans les zones qu'ils occupent. Le M23 accuse certains hauts gradés des FARDC de complicité directe avec les FDLR.
Resté le seul canal de dialogue opérationnel entre Kinshasa et le M23, le processus de Doha tente désormais de combler les retards accumulés, dans un climat où la méfiance reste tenace. En juillet, Kinshasa et le M23 y ont signé une déclaration des principes, feuille de route prévoyant initialement le lancement des négociations au plus tard le 8 ao?t et la conclusion d'un accord de paix avant le 18 ao?t, un calendrier dorénavant largement dépassé.
Selon un rapport publié en octobre 2025 par le Centre pour la coopération internationale de l'Université de New York, intitulé "Can a Peace Deal Be Made in Doha? (Un accord de paix peut-il être conclu à Doha?)", les processus de Doha et de Washington sont étroitement interdépendants : le succès de l'un dépend largement de l'avancement de l'autre.
Même si un accord venait à être signé, son application pourrait être compromise par des intérêts politiques divergents et par l'usure de la pression internationale, comme ce fut le cas lors des précédentes tentatives de paix, analyse le rapport.
QUAND LA PAIX SE MARCHANDE EN PROMESSE D'INVESTISSEMENT
A l'instar de l'accord de Washington, la conférence de Paris inscrit la coopération économique et l'intégration régionale parmi les piliers essentiels du processus de paix dans la région des Grands Lacs.
L'accord de Washington du 27 juin est accompagné d'engagements relatifs à la création d'un Cadre d'intégration économique régionale (CIER) et de promesses d'investissements américains dans les riches réserves de minéraux critiques de l'est de la RDC, ainsi que d'autres projets commerciaux.
Comme l'explique Joshua Walker, directeur des programmes du Congo Research Group à l'Université de New York, l'administration Trump "cherche à insérer les intérêts économiques au c?ur même des dividendes de la paix : l'idée est que, si la paix est rétablie, des investissements américains viendront soutenir l'industrialisation minière bénéfique à toutes les parties".
Mais cette approche s'est heurtée récemment à la fermeté de Kinshasa. Début octobre, la RDC a refusé de signer, à la dernière minute, le CIER avec le Rwanda sous médiation américaine, malgré plusieurs jours de négociations à Washington qui avaient abouti à un texte commun.
Selon Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement congolais: "On ne pourra parler d'économie ou d'intégration que lorsque nous aurons la paix restaurée et une paix que nous souhaitons définitive et durable".
"Dans ce que nous avons vu sur le terrain depuis le 27 juin, ce n'est pas le décor qui permet le retour de la paix (...) et nos négociateurs à Washington ont pris la position, le choix de ne pas signer", a expliqué M. Muyaya.■